L'idiot

Paroles et musique de Michel Démorest

 

 

J' suis jamais sorti d' mon village,

J'ai jamais quitté ma maison,

J'ai jamais vu une montagne

Ailleurs qu'à la télévision.

Comme qui dirait, madame Dupont :

« L'est pas en avance pour son âge ».

 

J' suis jamais sorti d' ma famille,

J'ai jamais quitté ma maman,

J'ai jamais vu les seins des filles

Ailleurs que sur un grand écran.

Comme qui dirait, madame Durand :

« L'en est encore à l'âge des billes ».

 

Mes frères et sœurs sont à la ville ;

Ils travaillent tous à la mairie.

Même que l'aînée, Marie-Cécile,

Va se faire muter à Paris !

Comme qui dirait, monsieur Dupuis :

« C'est presque une famille idéale ».

 

J' suis jamais sorti d' ma cambrousse ;

J'aurais trop peur d'être étranger,

Et quand j'ai peur je suce mon pouce

En me caressant l' bout du nez.

Comme qui dirait, monsieur l' curé :

« Y' a des soirs où y m' fiche la frousse ».

 

J' suis jamais sorti d' mon enfance,

J'ai jamais quitté mes quinze ans.

Paraît qu' le jour de ma naissance

Je suis venu les pieds devant.

Comme qui disaient, les types en blanc :

« Offrez donc son corps à la science ».

 

Mes frères et sœurs, entre deux flics,

Un jour ont voulu m' faire entrer

Dans un asile psychiatrique

En me traitant de pistonné.

Comme qui disait, le brigadier :

« Là-bas, t' apprendras la musique ».

 

J' suis jamais sorti d' mon village,

J'ai jamais quitté ma maison ;

Les chiens et les canards sauvages

Sont mes uniques compagnons.

Comme qui dirait, madame Dumont :

« On croirait qu'il parle leur langage ».

 

« On n'est pas fait pour vivre en cage »,

M'ont dit les animaux des bois.

« Rejoins-nous dans les marécages,

Là où les hommes ne viendront pas ! ».

Comme qui chantait, cette autre voix :

« Viens avec nous dans les nuages ! ».

 

Ils m'ont paru tellement sincères

Que sans un mot, d'un pas tranquille,

Alors j'ai quitté mon village

Dont j'étais l'idiot, paraît-il.